Recherche
Chroniques
Quatuor Diotima
cycle Beethoven|Boulez|Schönberg III
Nous retrouvons cet après-midi les quartettistes français dans le vaste programme qu’ils jouent au fil de quatre rendez-vous [lire nos chroniques des 19 et 25 novembre 2012]. Cette troisième étape est ouverte par une interprétation de haute volée du Quatuor à cordes Op.30 n°3 d’Arnold Schönberg – pour le compositeur, il s’agissait d’un retour à un genre délaissé pendant une vingtaine d’années (ne comptons pas Die eiserne Brigade de 1916, bien sûr) durant lesquelles il explorait des effectifs chambristes inédits, par conséquent à situer en dehors de la tradition instrumentale alors admise. Il est contemporain des Variations Op.31 avec lesquelles il avance un pas décisif dans la radicalité sérielle.
Le Quatuor Diotima élève loin son approche du Moderato initial dont il rend impérative, « nécessaire » même, l’obstination rythmique qui le trame, tout en relevant le chant du premier violon, lumineux, et la danse de l’alto, délicate et pateline. Le surgissement d’un violoncelle rageur confère un relief souverainement vigoureux au mouvement qui se prolonge dans le savant entrelacs de l’Adagio, ici tendrement élégiaque. L’exécution rebondit en saine tonicité sur les variations quasi dansées de l’Intermezzo, livrant enfin un ferme Rondo, son évident pendant qui, lyrique, s’emporte dans la nuance.
De même croise-t-on une vitalité chafouine dans la Partie 2 du Livre pour quatuor de Pierre Boulez qui, aujourd’hui, paraît la plus « libre » de l’édifice. Les musiciens, en tout cas, semblent s’en délecter, loin des verrouillages formels qui purent parfois séduire le compositeur dans les années cinquante. C’est inspiré, joueur même, remarquablement respiré, y compris le redoutable passage ortié de pizz’ qui annonce déjà ceux électroniquement réalisés d’Anthème II (1997), voire les harpes de Sur Incises (1998).
Bond de deux siècles et quart : c’est de décembre 1825 à mai de l’année suivante que Beethoven écrivit son Quatuor en ut # mineur Op.131 n°13, à l’Altes Schwarzspanierhaus (sa dernière adresse viennoise). Diotima cisèle la fugue du premier Adagio sur une ligne mince, affilée même, dans une régulière tension qui dévore l’écoute. Un lustre renouvelé éclaire le deuxième épisode (Allegro molto vivace), qui toutefois se garde d’affirmer un corps sonore trop voluptueux : au contraire, c’est en une gangue qui, pour n’être jamais éthérée, demeure svelte, qu’évolue un jeu ténu, pour ainsi dire « sérieux ».
Cet abord relativement ascétique (le mot est trop fort, pardon) s’avère des plus favorables aux atermoiements « à lève-cul » de l’Allegro moderato suivant où s’ajourne encore le déploiement des variations dans la romance un rien bonhomme du premier violon (Adagio) sur les pizz’ mafflus du violoncelle – ce que l’opus schönbergien contenait peut-être de Schubert est là, différemment. Mine de rien naît l’Andante, comme improvisé dans le grand geste faussement fragmentaire de l’œuvre – les sept mouvements sont enchaînés, rappelons-le – qui l’inscrit assurément dans une « modernité » renversante. Les dites variations se déploieront sur un ton parfois lapidaire – une gravure de Dürer qui d’un trait invente la lumière – jusqu’à des dentelles humblement ouvragées (Schönberg, encore, diversement), loin du tentant chimoine de lectures plus opulentes. Sous les archets ici présents, la fièvre fugitive du Presto disperse ses suées dans des audaces timbriques inouïes et une nuance toujours avisée, jusqu’en des PPP indicibles – on pense à l’« émulsion » boulézienne décrite plus haut). Le troisième Adagio (sixième mouvement) se fait languide, presque gris, et soudain sort dans la robustesse contrastée, voire désopilante, de l’Allegro conclusif, donné sans la moindre emphase.
BB